La Campagne d'Italie | |
Lettre écrite par Charles
LATAPY au père d'un de ses biens fidèles amis d'enfance.
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Capitaine Charles Latapy Ce 2 décembre 1944 S.P. 99026
Cher Monsieur, Il y a déjà quelques temps que j'ai reçu votre lettre m'apportant de vos bonnes nouvelles et de celles de Gilles; je pense qu'il a du vous retourner le coeur plein de ce bon soleil d'Afrique et chargé de ses nombreux Chichoua du moyen Atlas qui étaient sa grande préoccupation de l'été 43. Si je ne vous ai pas répondu plutôt, c'est que j'ai été surchargé de travail ces dernières semaines et, de plus, un évènement perturbateur est venu m'arracher le peu de temps qui me restait pour les loisirs. Maintenant j'ai retrouvé un peu de calme, mais l'évènement subsiste: il s'agit - tenez vous bien - de mon mariage avec une perle - bien sûr - Dijonnaise. Je suis resté assez longtemps à Dijon, ce qui m'a permis de connaître un certain nombre de filles du pays, parmi lesquelles se trouvait une toute jeune fille qui porte le nom de Jacqueline et qui devint très vite un petit flirt, puis un grand... et enfin ma tombe de célibat. Car ce flirt a si bien suivi son chemin qu'aujourd'hui je suis fiancé et que le mariage est fixé pour une date qui se situera aux environs de Pâque. Et voila comment on finit. Vous parler de la Belle... C'est bien difficile. Elle a 18 ans, est pleine de charme souriant, de fraîcheur et possède toutes les qualités qu'on confère toujours aux filles dans sa situation. Grande, distinguée, presque jolie et tout et tout et tout... Il a bien fallu cette sacrée libération pour en arriver là. Notez que je ne m'en plains pas, que Jacqueline paraît heureuse, et les parents m'ont accordé un bienveillant consentement. Ainsi tout le monde est content, ce qui est assez rare au jour d'aujourd'hui comme on dit chez nous. Il faut espérer que ça durera... Vous me demandez d'être un peu moins avare de ce que fut ma vie durant ces deux étranges années passées. C'est bien difficile en une lettre de vous conter deux ans d'une vie mouvementée et bohême; il y faudrait bien un livre de 250 pages, plus une quinzaine d'avertissements de l'auteur. Je vais tout de même essayer de vous retracer cela rapidement. Inutile de vous parler de l'Espagne dont vous avez eu certainement des détails par Gilles. Mais puisque nous en parlons, j'aimerais bien avoir l'adresse de Monsieur Edmond (Laint?), afin de pouvoir le remercier pour ses nombreuses gentillesses, en un moment où la vie n'était pas toujours drôle et devint même pour moi, une probabilité. Je réussis donc à débarquer à Casa le 15 avril 1943 environ trois semaines avant Gilles. Après un rapide voyage à Alger et une courte visite à Pauly, je fus affecté dans le personnel cadre d'une école de pilotage à Kasba-Tadla dans le sud marocain. J'y repris mon entraînement, j'eu jusqu'à 140 avions de tous types sous mes ordres... ce qui me permit d'effectuer en quelques mois un nombre respectable d'heures de vol, à travers le Maroc et l'Algérie. Gilles est passé rapidement en août dans le bled perdu et a du vous en parler. En dehors du travail, par une température diabolique, nous occupions le plus clair de nos loisirs dans des orgies de couleur locale où l'élément le plus attirant était de jeunes arabes ou chleuhs, du sexe faible naturellement car mon séjour dans le sud ne fut pas assez long pour être tenté par les prétendus appâts de petits cireurs pleins de charme. Je su me débattre longtemps avec les bureaucrates, état-major... etc. pour réussir à sortir de ce cadre et aller vers une vie plus active pour laquelle j'avais consenti un certain nombre de sacrifices. Enfin le 15 décembre je fus envoyé dans un centre d'entraînement à la chasse, à Marrakech d'abord, puis à Meknès ensuite. Gilles a du certainement vous parler de Marrakech: c'est une véritable perle du sud au climat délicieux en hiver. L'Atlas à deux pas, y offre de nombreuses ressources touristiques, voire la possibilité d'y faire du ski; la palmeraie et les oliveraies y sont extraordinairement belles. Les palais arabes y sont nombreux et luxueux et la ville européenne a le mérite d'avoir respecté tout cela. J'y fis un séjour de trois semaines. J'eu la chance de passer la nuit de Noël chez un fils du Pacha, un chaoui, dans un palais de rêve servi par un personnel digne des contes des milles et une nuits, avec une "diffa" ou nonchalamment étendu sur des poufs ou des tapis de haute laine. On nous servait, des heures durant, des pastillas, des couscous, des poulets aux amandes, des moutons en méchoui... etc., sans compter les nombreux amuse gueule dont seuls les princes arabes ont le secret; tout cela avec des femmes du pays, des danses du ventre ou autres, des tam-tam, et aussi un orchestre moderne pour les européennes qui se trouvaient là. Pendant ce temps, j'avais commencé un stage d'élève chasseur, que je terminais à Meknès le 1er mars date à laquelle je fus affecté à une unité de reconnaissance en voie d'équipement, sur les hauts plateaux Algériens. C'est avec cette unité que je devais partir pour l'Italie. Et le 1er mai 1944, je posais les roues de mon bolide de guerre sur le terrain de Catane en Sicile. De là, le 2 mai, je gagnais les environs de Naples et atterrissais à Pomigliano au pied même d'un Vésuve en demi activité qui soufflait tout ce qu'il pouvait et jetait une pierre de temps à autres. Inutile de vous dire la joie que j'éprouvais à me trouver sur cette terre Italienne dont les fils, jadis auteur du fameux coup de poignard n'était plus avec nous que de pauvres types empressés, prêts à toutes les bassesses dés qu'il s'agissait de "mangare". Car les Italiens crevaient de faim... Vous imaginerez facilement tout ce que nous avons pu tirer de profit de cette situation auprès des brunes et poilues napolitaines. Naples, à quelques Kms de là était une ville grouillante, sale et misérable, les filles y sont belles jeunes, très vite grassouillettes et toujours sales. Quant aux hommes ils sont si bas, si stupides et si prétentieux qu'il vaut mieux ne pas en parler. Si les filles vont en s'améliorant lorsqu'on monte vers le nord, les hommes, eux, conservent leur même caractère fait de bassesse et de stupides fanfaronnades. Avant d'aller plus avant, je dois vous dire que nous étions la seule escadrille Française stationnée sur le front Italien, que nous allions travailler au profit de la Vème Armée Américaine, de concert avec d'autres unités Américaines, et à ce titre nous étions très livrés à nous même, très rapidement "chouchoutés" par les Américains qui ne tarissaient pas d'éloges sur nous. Ceci nous valait d'avoir partout où nous passions de précieux égards et très souvent dans les cantonnements divers, la part du lion. Dés notre arrivée nous fîmes de nombreuses immersions à Naples, dévalisant les magasins dont les prix étaient inaccessibles aux Italiens, courant la gueuse, faisant les cents milles coups. A Naples le C.E.F. (Corps Expéditionnaire Français) avait lancé une vaste organisation de loisirs: foyers, restaurant, bibliothèque, dancing, pour chaque catégorie de personnel. Nous avions même un splendide journal "Patrie" édité sur les plus belles rotatives de Naples et qui disaient très souvent aux Italiens notre façon de voir. Je dois ajouter que ce journal était très populaire chez les indigènes. Il existait pour les officiers Français un dancing, très boîte parisienne, où l'on trouvait, à partir de cinq heures, tous les jours, les plus belles napolitaines. On était libre aussi d'y amener les femmes qu'on voulait à l'exclusion de tout italien. Cette boîte, durant notre séjour aux environs de Naples fut une source sans fin d'aventures sans nom. A Pomigliano nous étions logés dans ce qu'il restait d'une maison à demi détruite, et qui s'élevait au milieu des ruines de ce qui avait été jadis une usine Fiat et une cité ouvrière. Nous prenions plaisir à dire aux Italiens en leur montrant ces tas de pierres "Tous Musolini". Ils ricanaient bêtement. Huit jours après notre arrivée nous nous déplacions sur le terrain de Santa Maria, cité moderne de la légendaire Capoue. Nous étions encore au voisinage de Naples. C'est là que, un soir, on nous a réunit pour nous annoncer l'offensive de Cassino le lendemain qui devait aussi marquer nos premières actions dans cette campagne d'Italie. Nous étions installés sous la tente, le temps était très beau, le pays sympathique. Quelques jours après, de concert avec une escadrille américaine, nous avions réquisitionné dans le Capoue Vetere l'ancien local du parti fasciste, un somptueux premier étage dans un immeuble de style XIIIème. Nous avions installé un bar, une salle de lecture, des salles de jeux et de danse. Deux fois par semaine nous avions un orchestre nègre américain et nous donnions des bals où assistaient des américaines mobilisées et l'élément féminin indigène que nous récoltions aux cris de "ballare y mangare, signorina" qui trouvaient toujours de nombreux échos. Durant ce séjour à Capoue, nous exécutâmes de nombreuses missions qui s'avéraient fructueuses; très vite nous nous étions familiarisés avec le front et nous fumes surpris de ne jamais y rencontrer un avion boche ou si peu que ça ne vaut pas d'être mentionné. Le soir nous allions à Naples, ou au bar; les pilotes au repos visitaient les environs, c'est ainsi que je pu voir le palais royal de Caserta qui est une très pâle et mesquine imitation de notre Versailles. Nous étions aussi parfois reçu dans des familles italiennes, mais toujours pour cracher notre mépris et soulever la fille, ce qui nous valait immanquablement les plus respectueuses marques de sympathie... Le front était enfoncé à Cassino, le Volturno dépassé et nos troupes marchaient vers Rome par les vallées du Liri puis du Sacco. Les Français sous l'impulsion du Général Juin avaient fait le plus gros du travail, et nous bénéficions d'un prestige incroyable tant auprès des alliés que des indigène. Trois semaines après nous nous déplacions et étions envoyés sous la tête de pont d'Anzio qui rapidement fit sa jonction avec les autres troupes. Le séjour à Anzio fut court, mais c'était un enfer. On ne pouvait mettre un pied devant l'autre sans marcher sur du ravitaillement de toute sorte: obus, canons, chars, avions, matériel de rechange, cigarettes,vivres... etc. La baie était noire de bateaux, et la nuit était sans cesse troublée par le feu de la DCA dont la densité ne peut se comparer qu'à un bouquet de feu d'artifice multiplié par 1000. Les avions allemands venaient en effet toutes les nuits, mais ne causaient pas de dégât, lâchant leurs bombes n'importe où. Malgré tout, il fallait s protéger contre un coup éventuellement malheureux et surtout contre les balles et obus de DCA dont les éclats ne restent jamais en l'air. On couchait donc dans des abris, qu'une première nuit au clair de lune nous avait convié à construire. Le temps était clément, les nuits douces. La mer venait se briser juste au pied de nos tentes, et fréquemment dans la journée nous écartions de la surface de l'eau la couche continue de goudron pour piquer une tête: nous sortions de la mer tout couverts de coltar. Il fallait bien passer le temps. Tout était détruit tant à Nettuno qu'à Anzio, pas l'ombre d'un seul éveil n'était visible: le canon n'arrêtait pas de tonner. C'était la guerre. Mais tout de suite après notre arrivée la trouée déjà commencée, se confirma et la marche sur Rome commença, foudroyante. Nous continuions nos missions pris par la fièvre de cette magnifique offensive où les Français s'étaient révélés de grands champions. Ce furent eux qui entrèrent les premiers à Rome. Trois jour après nous déménagions pour nous installer à 10 km de la ville éternelle, entre celle-ci et le Prado. Naturellement nous honorâmes Rome de nos fréquentes visites, et nous dévalisâmes en peu de temps tous les magasins. C'est une particularité de cette campagne: dés la prise d'une ville on achète tout ce qui est à acheter et on l'envoie en Afrique du Nord. On vit ainsi arriver des objets les plus hétéroclites: accordéons, saxo, draps, tissus variés, stylos, meubles, postes de TSF, etc. Toute notre solde y passait soit 18000 lyres ou peut s'en faut (un professeur de faculté gagnait 3500 lyres!). Nous fumes tous déçus par Rome. C'est une ville petite où tout est étriqué et mesquin. Aucune perspective,pas de grande artère, des rues tortueuses et noyées dans la masse des multitudes d'églises, dont beaucoup d'un style affreusement rococo. Rien de commun avec l'élégance et la souplesse de nos belles flèches de cathédrale. Quelques beaux monuments noyés aussi dans la masse perdant les 3/4 de leur valeur faute de cadre; un monument écrasant et affreusement laid, prétentieux comme un italiens: le monument à Victor Emmanuel. Un seul coin mérite vraiment de retenir l'attention: le Colysée, le forum et la série des vestiges de Rome l'antique. Quelques palais autour de Rome sont assez dégagés et possèdent de beaux jardins à belles terrasses, telle la villa Farnèse. Le Tibre est une rivière ridicule qui serpente dans la ville et semble mécontent des horribles ponts dont on l'a affublé. Mais Rome est une ville à peu près européenne comparativement à Naples qui est un port méditerranéen. Rome est propre, il y a quelques beaux magasins, des femmes à peu près élégantes: mais tout y est prétentieux; tout veut être grand et n'est que mesquin. Il ne fallut pas beaucoup de temps pour que s'organise à Rome ce qui existait à Naples. La "Fratrie bénéficia encore des meilleures rotatives locales. Un casino devint le centre de repos des soldats, avec tout les accessoires nécessaires aux loisirs modernes. Un très bel hôtel fut réservé aux sous officiers. Et l'hôtel PLAZZA, fut réservé aux officiers Français. Ce fut le clou de la campagne. Il suffisait de se présenter au bureau de la place Française pour avoir un bout de papier qui vous affectait pour une ou plusieurs nuits une des 500 chambres de ce palace, avec salle de bains, bidet à jet rotatif, eau chaude, meubles de style (faux)...etc. téléphone et tout. A côté de la lampe de chevet, il suffisait d'appuyer sur un bouton pour qu'apparaisse un valet de chambre, ou une femme de chambre, ou une autre femme de chambre selon le bouton choisi. Ces deux dernières étant prêtes aux derniers sacrifices pour peu qu'on le leur demande, par la main ou par le geste. Au rez de chaussée du Plazza on trouvait un bar très sympathique, de nombreux salons de lecture, de jeux ou autres, un salon de coiffure avec manucure, cireurs,...etc. Une immense pièce très décorée de nombreux lustres, genre 1890, colonnades et tout avec au centre une belle piste de danse et, tout autour des tables où l'on dînait et consommait. L'orchestre était de choix et jouait de 17h00 à minuit. Le service était assuré par des garçon en habit très stylé et empressés. Les soirées du Plazza étaient annoncées dans Rome pour leur chic et leurs grandes tenues. Cela n'avait plus rien de commun avec la boîte de Naples. Les Romaines considéraient comme un grand honneur d'y être admises, mais ne pouvaient y pénétrer qu'accompagnées d'un officier Français. L'élément male indigène était naturellement complètement éliminé. L'ambiance était remarquable, les repas de qualités et la cave renfermait les meilleurs crus Français dont les prix fixés par l'officier gérant étaient dérisoires... Les Romaines sont beaucoup mieux que les Napolitaines, moins brunes, parfois rousses, mieux tenues, elles n'ont cependant pas le chic Parisien. Elles sont aussi très velues. En général les femmes de la société parlaient français, une sorte de français littéraire, très prétentieux, genre femmes savantes. On arrivait à se comprendre. Dès les premiers jours je fis connaissance d'un professeur de français au lycée qui répondait au nom de Wenda Giraldi. Elle avait 25 ans, était grande, d'un blond vénitien tirant vers le roux, très velue naturellement. Elle était assez cultivée et grâce à elle je pus visiter Rome avec profit. Nos journées se terminaient au Plazza. Elle devint très amoureuse et jalouse, et nous nous séparâmes plus tard sur une terrible scène de jalousie, car elle m'avait rencontré avec plusieurs autres Romaines, d'un niveau intellectuel inférieur à elle il est vrai; mais je tenais à me faire une idée générale sur les moeurs et la sexualité du pays. Je ne pus jamais lui faire admettre cela. Il y avait entre autre une certaine Maria non moins jalouse qui me trouva un matin dans ma chambre avec l'une des femmes d'étage; il y eu une altercation très bruyante où je ne compris pas grand chose, las de cet incident qui s'éternisait sans trouver de solution je les mis toutes deux à la porte....Telle était la vie à Rome. J'y allais de temps en temps chaque fois que j'étais de repos. J'y passais 24 heures, puis je retournais prendre contact avec les opérations. Entre temps nous nous étions déplacés sur un terrain plus au nord, près d'un petit village perché sur un sommet, d'allure moyenâgeuse: Tarquinia. De là, nous continuions à aller à Rome. Les jours s'écoulaient, nous étions au début de juillet. Sienne était entre nos mains, une fois de plus on plia bagages et nous atterrissions sur un terrain à proximité d'une petite ville: Follonica qui se trouve au bord de la mer, dans une baie qui porte le même nom et est absolument délicieuse. Nous avions monté nos tentes un peu à l'écart, tout au bord de la mer, dans une pinède qui donnait à ce coin l'aspect d'une plage des Landes. Il n'était plus question d'aller à Rome, trop loin. Mais l'endroit offrait les même avantage qu'une ville balnéaire. L'eau était tiède, remarquablement claire. Lorsque le travail ne nous appelait pas sur le terrain, nous vivions complètement nus, laissant notre corps se rôtir au soleil. La popote installée sous la tente assise sur une petite dune, offrait un point de vue magnifique. Nous passions nos heures de loisirs à lire ou à faire du sport sur la plage ou à nous baigner. Nous avions meublé nos tentes confortablement avec des meubles prélevés chez l'habitant: moi j'était dans les meubles du chef de gare. Un jour, ou plutôt un soir, on eut l'idée d'organiser un bal public, sur la place du village. Nous avions au groupe deux accordéonistes et un saxo, c'était bien suffisant. Un soir donc, on prit une camionnette, on fit le tour du village en musique, à la manière d'un cirque ambulant, on ramassa des filles, et on s'installa sur la place: le capot de la voiture servant d'estrade et les phares d'éclairage. Ce fut un succès fou. Les filles rétives d'abord, vinrent à nous, on fit comprendre aux garçons qu'on leur laissait tout juste le droit de regarder de loin. On eu dit un soir de 14 juillet à Paris... On termina par une marseillaise que les italiens furent obligés de saluer... et ils trouvèrent le moyen d'applaudir à la fin. Par la suite on organisa d'autres manifestations de ce genre. J'avais fais la connaissance de plusieurs filles parlant à peu près français. L'une d'elles, Mara, m'était très attachée; elle avait beaucoup de charme mais je ne pu jamais arriver à conclure. Elle m'avait amené chez elle; ses parents étaient de petits bourgeois de Livourne réfugiés dans une villa qu'ils possédaient ici. Je fus très bien reçu, avec empressement. Je parlais d'organiser une petite sauterie un soir, chez eux, on accepta pour que j'apporte à "mangare". Ce fut O.K. je réunis des camarades, et le soir fixé nous arrivions munis de victuailles. Mara avait invité ses amies dont plusieurs étaient très jolies. On commença à boire et à danser. Ce fut vite très gai. Dans la soirée, ayant bu un certain nombre de verres, j'entraînais Maria sur la plage, mais elle ne voulut pas s'asseoir, et devant mes manoeuvres offensives décida de rentrer chez elle. Elle venait de ma laisser lorsque passa une ombre près de moi, au clair de lune. Je reconnu une fille d'assez belle allure. Je l'interpellai et elle vint à moi. A l'inverse de Mara j'obtins un très rapide succès; au clair de lune cette fille paraissait belle, et elle était très bien faite. Je lui demandais de venir "ballare y mangare" elle accepta. Et je l'emmenai chez Maria. Cette fille ne parlait pas un mot de français, mais vu les circonstances, j'en étais très amoureux à ce moment là.... je l'introduis donc chez Maria et l'amenai directement au buffet qui était envahi par une bande d'italien soit disant Parents amis ...etc. qui dévoraient tout. Je fis le vide aidé par quelques camarades et ma nouvelle conquête se mit ainsi à dévorer. J'en étais très satisfait. C'est alors que je m'aperçus que l'assistance jetait vers moi des regards réprobateurs, qu'on se concertait et dans ma demi cuite, je compris qu'il se passait quelque chose. Mara avait l'air furieuse, elle expliqua à un camarade que cette fille était la putain de l'endroit, que s'était un déshonneur définitif de l'avoir sous son toit ...etc. Mon camarade me raconta cela en jubilant... Il semblait qu'il devait y avoir un scandale imminent, on ne pouvait demander mieux pour terminer une aussi agréable soirée. J'en profitais pour servir à la nouvelle venue de nombreux verres d'alcool afin de lui donner du courage en vue d'une bagarre prochaine. Bientôt Mara envoya un émissaire, il y eut des paroles assez vives de part et d'autres, on entendit un soufflet... Mara pleurait... Elle avait des yeux lui sortant de la tête, l'air terriblement sauvage; les parents levaient les bras en l'air en criant en italien, finalement on pris la fille et on la jeta dehors. Je me trouvais dans mon coin, mes camarades ne se tenaient plus... enfin je pris la porte et m'en allai terminer la nuit avec cette inconnue. Depuis je n'ai revu Mara qu'une fois et elle s'est enfuie... Pour le 14 juillet j'eu l'immense joie de défiler en avion au dessus d'un défilé terrestre organisé par le Général Juin à Sienne. J'ai su ensuite que des italiens au sol acclamaient nos cocardes. Le mois d'août approchait. Un jour on nous réunit pour nous parler d'un prochain débarquement en France, dans le midi. Nous devions participer à la préparation d l'opération et ensuite au débarquement. Pour cela on allait nous envoyer en Corse d'ou enfin, nous irions survoler la France, tout en continuant à travailler sur l'Italie. Il n'est pas besoin de vous dire la joie générale ce jour là... Peu après on pliait une fois de plus bagage. Je décollais une dernière fois de Follonica pour mettre le cap sur la Corse, presque la France... Nous arrivions en Corse vers le 1er août. C'est, partant de là, qu'un jour je me retrouvais au dessus de Nice... Je pleurais comme un gosse, avant de m'enfoncer plus en avant dans les terres, jusqu'à Grenoble. La France était si belle en ce début d'août. Parfois on descendait en piquet sur un village, on voyait les gens s'enfuir, puis s'arrêter, regarder et immédiatement des mouchoirs, des chapeaux, des drapeaux s'agiter; on tournait et on repartait. Il ne fallait pas perdre de temps, nous étions trop juste en essence et au retour il y avait 200 Kms de mer à franchir.... En Corse la vie était beaucoup moins agréable qu'en Italie. Nous avions pris l'habitude de vivre en pays conquis sans tenir aucun compte de la population, en agissant comme bon nous semblait et suivant nos désirs collectifs ou personnels. Mais il régnait à l'escadrille une telle ambiance devant la perspective de ce débarquement qu'on oubliait vites les incommodités. Nous étions alors à Bastia, mais 8 jours après nous déménagions de nouveau pour aller à Calvi. C'est à Calvi qu'au cours d'une réunion qui dura 4 heures on nous exposa toute la manoeuvre de débarquement qui devait avoir lieu le lendemain matin. En même temps on nous dit ce qu'on attendait de nous. L'allégresse était dans tous les coeurs. En cette belle soirée du 14 août, nous pensions qu'il y avait plus que quelques heures à passer avant que se réalise un rêve de plusieurs années. Nous devions débarquer nous même au jour D+8, avec armes et bagages, les jours suivants montrèrent que les autorités avaient manqué d'opportunisme. Le 15 août et les jours suivants nous assurions la couverture Est du débarquement. Les nouvelles nous parvenaient plus qu'excellentes, dépassant toutes les prévisions. Nous même dans nos reconnaissances n'arrivions à déceler la moindre activité ennemie. Le 20 août nous recevions l'ordre de faire manoeuvre le jour même vers la France, sur le premier terrain qui venait d'être aménagé, au bord de la mer, près de Saint-Tropez. Ce même jour à 17 heures tous nos avions étaient posés en France. Nous étions la première escadrille à utiliser ce terrain, hâtivement construit dans les vignes et les arbres fruitiers. Seuls quelques avions plus ou moins en détresse l'avaient déjà utilisé. Ce 20 août était un dimanche. La mission partie de Calvi à 12h00 s'était posée avant nous et dans tout le pays le bruit avait couru comme une traînée de poudre que deux avions Français étaient là. Les gens étaient venus de partout vérifier ce bruit et nos camarades avaient annoncé notre arrivée. De sorte qu'à notre atterrissage ce fut une véritable foule qui nous assaillit. A peine eu-je rangé mon appareil dans l'alvéole qui lui était réservé, je fus littéralement enlevé de mon habitacle. J'entendais des cris Vive la France, vive l'aviation". J'étais embrassé, je sentais des barbes, ou des joues tendres, des peaux dures. On me donnait des raisins, on me versait à boire... Je ne sais pas combien j'ai embrassé de filles en cet instant. Je ne pouvais pas placer une seule parole, d'ailleurs j'avais la gorge trop serré. On me posait trop de questions pour pouvoir répondre à une seule. "C'est à vous cet avion? et il est Français? et il a des cocardes?" et on touchait les ailes, et on caressait les cocardes... J'arrivais tout de même à demander s'il y avait un bordelais par là: "Un bordelais! Té, Eh le bordelais, viens voir t'as un collègue..." Je fus empoigné vigoureusement, traîné. "Moi je suis bordelais" me disait une voix... et il me traîna jusque chez lui, dans une ferme à deux cents mètres de là. Je marchais mécaniquement, il parlait sans arrêt. J'entendais "Ah les salauds... si vous saviez, on vous attendait tant! Et vous êtes les premiers Français qu'on voit, on n'avait eu que des américains jusque là... A la maison je fis connaissance de tous: grand mère, femme, deux petites filles, plus les voisins... tous m'embrassèrent. "Et à boire et tout de suite" commanda mon hôte. Dans un beau .... on installait des verres sur une table, on portait des chaises et on me questionnait toujours. Et au bout... lorsque je pus me séparer de ces braves gens, 1 heure après, je partais en titubant, rejoindre mes camarades. Un camion nous attendait pour nous emmener à notre cantonnement. Je m'y engouffrai. C'était à 12 Kms de là et il fallait traverser un village. Cela nous fut impossible. Les gens nous barraient la route, ou se couchait devant les roues. "Descendez qu'on vous dit, descendez, on veut vous voir..." Je sautais du camion, fut enlevé vers un café, je du trinquer encore. Il y avait des vieux, des vieilles, des jeunes, des filles aux cheveux noirs couverts de rubans tricolores. Je me sentis tiré par l'une d'elle, je me laissais faire, je me retrouvais dans la rue: "venez". Je suivis et elle me conduisit chez elle. Elle rentra en criant: "Papa, Maman, un officier Français..." De maman je fus saisi, enlevé, embrassé... Enfin, mort de fatigue et aussi d'avoir trop bu, je tombais dans un fauteuil... Tout était nébuleux autour de moi... J'offris des cigarettes sur ma réserve spéciale achetée au marché noir en Corse à cet effet... je bu encore du pastis. Je m'entendis appeler dans la rue, on me soutint pour sortir et des camarades me chargèrent dans la voiture... Je me couchais en arrivant, sous la tente qu'on me désignait. Telle fut notre arrivée en France. Le lendemain nous apprenions que le commandement américain nous donnait deux jours de repos: les missions seraient assurées par des escadrilles américaines. Nous apprécions ce beau geste. Nous ne nous lassions pas de marcher sur ce bon sol de France et j'employais ces 2 jours à courir la campagne. Ensuite, on nous déplaça vers Fréjus. Nous reprîmes nos missions, presque toujours vers Lyon ou la Savoie. Quelques fois vers Montpellier ou Perpignan. Je pris part à l'effroyable carnage de la vallée du Rhône. La route ente Valence et Montélimar flambait jour et nuit: nous l'appelions la route de feu. J'allais à Cannes de temps en temps. Nous y avions un pied à terre. On nous invitait partout. Un inconnu tint absolument à me recevoir avec trois autres camarades: nous fîmes chez lui un soir, un repas pantagruélique d'avant guerre, avec de très belles qu'il avait invitées. Puis un jour nous partîmes, ce fut Montélimar, puis Lyon... puis Dijon... Et c'est à Dijon que m'arriva la plus tragique aventure... Je vous en parle au début de cette lettre... Voila, vous vous plaigniez de ne mon avarice en détails... j'étais parti pour vous donner une page de ces détails, vous en avez quatre... vous l'aurez bien voulu. Maintenant, l'aventure continue, c'est à dire la guerre. Elle ne durera plus très longtemps je pense. J'ai hâte qu'elle finisse... mes projets? Pouvoir faire comme tout le monde, me créer un foyer et acquérir une certaine stabilité sans devenir trop bourgeois. Il est vrai qu'il reste l'Indochine...! Si Gilles est là et s'il peut se déplacer qu'il vienne à Luxeuil: il a aussi des chances de me trouver à Dijon, Hôtel Marat près de la gare. Je serais très heureux de le voir et d'avoir aussi le détail de ses aventures. Je confie cette lettre à un camarade. J'espère qu'elle vous parviendra. Ce serait dommage qu'un tel travail se perde...! Ne m'oubliez pas auprès de Madame Maunoury. Que devient Joël? Soyez assuré de ma sincère et respectueuse amitié. Charles
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Ci dessous une carte
géographique (d'autres
sont de meilleure qualité) qui
permet de se repérer. Vue d'ensemble de l'Europe et
du bassin méditerranéen. Le trait noir, vous l'aviez deviné, retrace le
chemin parcouru par la 2/33 durant la Campagne d'Italie. L'EUROPE ET LE BASSIN MÉDITERRANÉEN |
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